Une conversation avec Nathalie Cook : Six ans d’évolution de l’organisme Femmes et Sport au Canada

Nathalie Cook a ouvert la voie aux femmes dans le sport en tant que première vice-présidente de plusieurs chaînes sportives télévisées à travers le pays. Elle quittera son poste de présidente de Femmes et sport au Canada après avoir rempli son mandat pendant les six dernières années. Avant son départ, elle s’est entretenue (sur Zoom) avec Teddy Katz, ancien journaliste lauréat de la CBC, pour parler de ses expériences et expliquer pourquoi elle pense que cette décennie est celle des femmes dans le sport. 

Voici une version abrégée de leur entretien. 


Teddy Katz (TK): Le sport est souvent décrit comme un réseau de vieux garçons. Au début de votre carrière, comment ce réseau s’est-il manifesté pour vous? 

Nathalie Cook (NC): Au début de ma carrière, j’ai eu la chance de travailler pour IMG en tant que gestionnaire de talents pour les athlètes olympiques. IMG était résolument un club de garçons. En tant que jeune femme mariée et enceinte, travaillant pour une entreprise américaine, j’ai découvert qu’ils n’avaient pas le même congé de maternité. J’étais Canadienne et je travaillais au Canada, où le congé de maternité existait, alors nous avons dû en discuter. Il était également clair qu’au sein de cette culture d’entreprise, beaucoup d’affaires se faisaient sur le terrain de golf, et je n’étais pas golfeuse. À la fin de ma journée, je rentrais à la maison pour m’occuper de mon enfant et eux, à la fin de leur journée, ils allaient jouer au golf.  

(TK) Ramenez-moi il y a six ans, au moment où vous êtes devenue présidente de Femmes et sport au Canada. Qu’est-ce qui vous a poussée à vouloir vous impliquer de cette façon? 

(NC) C’est une question intéressante car, au début, je ne ressentais pas le besoin de faire partie d’un groupe. Mais au fil de ma carrière, j’ai réalisé que mon expérience (en tant que femme dans un domaine essentiellement masculin) n’était pas unique et qu’en fait, les choses ne s’amélioraient pas pour les femmes. C’est à peu près à cette époque que Karin Lofstrom (ancienne directrice générale) m’a proposé de m’impliquer dans l’organisme Femmes et sport au Canada.  

(TK) Vous laissez entendre que vous n’avez pas fait grand cas du genre au début de votre carrière. Et cela a changé. Qu’est-ce qui a provoqué ce changement? 

(NC) Le changement s’est produit lorsque je suis allée travailler aux Jeux olympiques spéciaux, ce qui a été la première fois que j’ai eu une femme comme directrice dans ma carrière. Avant cela, je pensais que je devais être un peu plus perçue comme masculine dans mes relations. Si vous montrez de l’émotion, alors vous êtes une fille, non? Donc, j’étais douée pour garder mes émotions sous contrôle. Personne ne m’a vu pleurer, personne ne m’a vu être bouleversée. Puis j’ai réalisé que ce n’était pas la personne que je suis. Je suis une personne émotive. Aux Jeux olympiques spéciaux, j’ai décuplé mon QI émotionnel parce qu’on m’a montré qu’on pouvait être une leader compatissante. On peut remercier les gens. Cela semble si élémentaire, mais je ne viens pas de ce monde. Si je n’avais pas connu les Olympiques spéciaux, je ne serais pas la leader que je suis aujourd’hui. Ainsi, lorsque Karen a fait appel à moi, j’étais beaucoup plus réceptive. Je sentais aussi que j’avais quelque chose à apporter à l’organisation et à sa mission si importante. 

(TK) Quand vous parlez de mission importante, comment étaient les choses il y a six ans, quand vous avez commencé à présider Femmes et sport au Canada? 

(NC) Nous n’étions pas vraiment sur le radar. Le sport féminin semblait n’être qu’une petite anomalie qui apparaissait un jour par année, lors de la Journée internationale de la femme. Les gens semblaient apprécier les femmes dans le sport, mais à sa place. C’est toujours ce qu’on entendait, à savoir que si les femmes avaient leur place dans le sport, cela enlèverait cette place à quelqu’un d’autre, à savoir les hommes. 

À l’époque, je me souviens d’une rencontre avec notre équipe de rédaction, lors de ma première semaine à TSN, et d’avoir entendu certains termes descriptifs (et restrictifs) qui n’étaient même pas dits de façon intentionnelle, mais qui étaient simplement ancrés dans nos reportages et nos discussions. Cela peut être attribué au fait qu’il n’y avait pas de diversité autour de la table alors que la table n’était rien d’autre qu’une bande de gars de race blanche qui regardent du sport toute la journée. Je parle donc de ma propre expérience à TSN. Nous sommes passés par tout ce processus d’expressions telles que « Les mots comptent », « Le langage compte », « Les choix que vous faites comptent ». Et voici pourquoi. Parce qu’il y a toute une génération de jeunes femmes qui ne se voyaient pas du tout représentées.  

Vous demandiez ce qui m’a poussée à devenir présidente? Je suppose que je ne pourrais pas vraiment me plaindre de ces choses si je n’essayais pas de faire partie de la solution. C’est donc ce qui m’a poussé. 

(TK) De quelles manières pouvait-on observer ce comportement masculin? 

(NC) L’une des choses qui me frappe toujours, ce sont les descriptifs. Souvent, les femmes athlètes sont décrites en relation avec leur entraîneur, leur petit ami, leur conjoint, leur partenaire, alors que les hommes sont toujours décrits comme s’ils étaient arrivés là par eux-mêmes. Les femmes avaient toute une équipe derrière elles, mais les hommes apparaissaient comme par magie et étaient des superstars. De même, dans les images que nous utilisons, nous avons tendance à utiliser des photos représentant le physique des athlètes féminines plutôt que des photos d’athlètes féminines en action. 

(TK) Quels étaient vos principaux objectifs au début de votre présidence? 

(NC) L’une de mes priorités, lorsque j’ai rejoint l’organisation au sein du comité de marketing, était que nous devions être en mesure de mieux articuler ce que nous faisions, car, pour le monde extérieur, ce n’était pas clair. Nous étions très isolées.  

Nous étions une organisation qui s’intéressait à l’équité dans le sport, en particulier au sein du système sportif. Le plus grand changement que nous avons opéré a été de nous concentrer davantage sur les avantages sociétaux et le bien commun. Nous connaissions toutes ces faits étonnants qui démontrent que si nous soutenons les femmes dans le sport, et plus elles atteignent un haut niveau de compétition, plus elles ont de chances de réussir dans d’autres domaines de leur vie. L’équité entre les genres permet de construire de meilleures personnes et un meilleur sport. Je ne pense pas que nous ayons fait un bon travail dans le passé pour raconter cette réalité. 

Un autre grand changement dans l’organisation est que nous étions dirigés par des femmes et que c’était comme si seules les femmes avaient la solution. Nous avons réalisé que nous avions besoin que les hommes fassent partie de cette réflexion. Ce sont eux qui tiennent les rênes de ces choses. Si nous ne les faisons pas participer et que nous ne les encourageons pas à être champions avec nous, nous sommes confinés à travailler en vase clos. 

(TK) Vous avez également reçu un financement gouvernemental de quelques millions de dollars. Parlez-moi un peu de cela? 

(NC) Beaucoup de choses se sont alignées au bon moment. Soyons honnêtes. Nous savions qu’un gouvernement Trudeau allait certainement être plus favorable à l’équité entre les genres. Si vous me l’aviez dit à l’époque, à quel point je ne suis pas sûre, je vous aurais cru. L’un de nos objectifs était d’être considérées comme « la voix » des femmes canadiennes dans le sport. Et je pense que nous avons obtenu la reconnaissance du gouvernement fédéral quand il nous a dit : « Oui, nous vous voyons comme ce leader. Et nous voulons que vous soyez un partenaire dans certaines initiatives que nous souhaitons réaliser et nous vous financerons en conséquence ».  

(TK) Mis à part le financement, quels sont, de votre point de vue, les plus grands défis qui restent à relever? 

(NC) Nous n’avons vu pour le moment que la toute petite pointe de l’impact de la COVID-19. L’écosystème du sport de masse a été décimé. Je pense que nous allons assister à une baisse de la participation des femmes pour cette raison. C’est un problème auquel nous devons nous attaquer, car nous savons, en particulier pour les femmes, que si nous ne les impliquons pas dès leur plus jeune âge, il est peu probable qu’elles puissent progresser, n’est-ce pas? Il est difficile de susciter l’intérêt d’une jeune fille de 13 ans pour le sport si elle n’a jamais joué. C’est pourquoi il est important que des réseaux comme TSN mettent en valeur les femmes dans le sport. 

(TK) Pouvez-vous nous parler du plan stratégique de Femmes et sport au Canada pour la période 2021-2024? Quels sont les principaux objectifs ou priorités que vous avez établis? 

(NC) Nous nous consacrons à un écosystème inclusif et nous voulons nous assurer que les femmes qui n’ont pas pu accéder au sport puissent le faire à l’avenir. Le conseil d’administration actuel s’est également fait entendre pour dire que nous n’avons plus besoin d’être timides comme nous l’étions parfois dans le passé. Nous avons les données, nous sommes soutenus par la recherche et par la science et ce que nous disons n’est pas le fait d’une personne qui s’exprime au hasard sur Twitter. Nous devons interpeller les gens lorsqu’ils ne respectent pas leurs engagements ou font le strict minimum. Je pense que vous verrez beaucoup plus de ce type de plaidoyer car, si nous persistons à replonger les femmes dans les mêmes systèmes qui posent problème, nous ne les aidons pas.  

(TK) Tous les niveaux de gouvernement au Canada se sont engagés à assurer l’équité entre les genres dans les conseils d’administration du sport amateur d’ici 2024 et l’équité entre les genres dans le sport à tous les niveaux d’ici 2035. 2024 n’est pas si loin. Cet objectif pour les conseils d’administration est-il raisonnable dans votre esprit?  

(NC) Oui, je crois que c’est raisonnable et nous souhaitons que les gens soient disposés à devenir des partenaires dans ce domaine. Nous devrons également faire preuve de souplesse à certains moments, car certaines structures de conseils d’administration ne permettent pas de changer aussi rapidement que d’autres. Nous pouvons le faire par l’éducation et en leur expliquant pourquoi, en fin de compte, ils seront une meilleure organisation en ayant cette diversité autour de la table.  

(TK) Serait-ce la « décennie des femmes dans le sport »? Il me semble que la COVID a ouvert des portes que l’on essayait probablement de franchir depuis des années. Tout à coup, nous voyons le sport féminin à la télévision de différentes manières et les gens parlent de ces questions. 

(NC) J’adore l’expression « la décennie des femmes ». Je vais l’utiliser. Oui, faisons en sorte que ce soit le cas. Parce que si ce n’est pas maintenant, ce sera quand? Nous devons montrer pourquoi soutenir le sport féminin représente une occasion de développement durable pour les partenaires et envisager ces questions sous un angle nouveau. 

(TK) L’année dernière, on a beaucoup discuté de la question à savoir qui pouvait accéder au sport et qui ne le pouvait pas ou ne se sentait pas bienvenu. Vous avez souvent travaillé pour l’équité entre les genres, principalement, mais dans quelle mesure reconnaissez-vous que vous ne pouvez pas gagner si toutes les femmes ne font pas partie de cette réflexion? 

(NC) Quelles que soient les injustices dont j’ai pu souffrir dans ma vie, elles ne sont pas comparables aux injustices dont souffrent certaines de mes collègues musulmanes ou de couleur. Je pense que la question de l’intersectionnalité, qui ne faisait pas partie de mon vocabulaire il y a deux ans, est aujourd’hui un élément essentiel pour Femmes et sport au Canada. Nous comprenons mieux maintenant que nos différentes expériences en tant que femmes ne sont pas les mêmes. 

Le manque de représentation dans les médias en est un bon exemple. Nous parlons beaucoup du fait que seulement 4 p. 100 des sports à la télévision sont des sports auxquels participent des femmes. Je pense qu’il faut être très conscients du fait qu’une grande partie des mesures ont traditionnellement été réalisées sur la télévision linéaire. Que montrent TSN, Sportsnet, CBC ou CTV? Mais ce n’est plus ça le monde du sport aujourd’hui. Le sport est consommé sur tant de plateformes différentes et de tant de façons différentes. Nous diffusons le championnat de la WNBA et celui de la NCAA masculin de basketball à la télévision. Les statistiques pour le sport féminin ne sont pas les mêmes. Alors comment pouvons-nous les améliorer? En reconnaissant les audiences et les occasions uniques, nous pouvons combler cet écart; juste à penser au tennis féminin et au curling féminin, par exemple, où le curling féminin l’emportera souvent sur le curling masculin sur notre réseau.  

Je pense que les sociétés de médias doivent être beaucoup plus intelligentes et plus stratégiques quant à l’endroit et à la manière dont elles programment leur contenu sportif féminin. Nous nous demandons parfois comment faire en sorte que le sport féminin se développe dans l’écosystème sportif actuel, géré par des hommes pour des hommes. Je pense qu’on devrait se demander pourquoi faisons-nous cela? Pourquoi ne pas créer notre propre écosystème? 

(TK) TSN a récemment mis en place une équipe entièrement féminine pour la diffusion de la NBA. Qu’avez-vous ressenti en voyant cela? Et avez-vous été impliquée de quelque manière que ce soit dans ce projet? 

(NC) J’ai été impliquée et je vais être honnête avec vous. Quand l’équipe en a parlé pour la première fois, je n’étais pas une partisane de cette idée. Nous avons passé beaucoup de temps avec nos groupes de diversité et d’inclusion, avec MLSE et avec notre équipe de production pour dire que si nous devions aller de l’avant avec ce projet, que cela ne pouvait pas être un cas isolé. Je suis très fière de ce que cela a donné. Trois des cinq femmes travaillent à temps plein sur notre réseau, nous n’y avons donc pas parachuté de nouveaux talents. Nous avons eu une semaine pleine d’activités. Il ne s’agissait pas de la seule émission, et c’était une démonstration de principe pour tous ceux qui pensaient que ça ne marcherait pas. 

(TK) Si je ne me trompe pas, vous êtes la première femme vice-présidente de l’histoire de TSN. Vous êtes l’une des premières femmes au monde à diriger plusieurs réseaux sportifs. À quoi attribuez-vous cela? 

(NC) Je suis toujours la seule femme vice-présidente. Nous devons remédier à cela. Une grande partie de mon mandat consiste à m’assurer que nous construisons un pipeline au sein de TSN, ce qui demande du temps. Je suis consciente qu’il y a maintenant des femmes au sein de notre entreprise qui considèrent qu’elles peuvent le faire, parce qu’elles m’ont vue le faire.  

(TK) Une dernière question. Que peuvent faire les gens pour être de meilleurs alliés en matière d’équité entre les genres et de sport?  

(NC) Il suffit de se faire entendre. Quand je suis dans une réunion et que j’entends un collègue dire quelque chose de désobligeant, de déplacé ou d’erroné, ce n’est pas moi qui dois le souligner, mais plutôt un collègue masculin qui dit : « Hé, attends. On ne parle pas comme ça. Ce n’est pas bien. » 

(TK) Ce fut un plaisir de vous revoir et d’entendre vos idées. Merci beaucoup Nathalie et félicitations. 

(NC) J’ai beaucoup apprécié notre entretien. Je n’arrive pas à croire que les six dernières années ont passé si vite.


À propos de l’auteur 

Teddy Katz a été un journaliste lauréat à la Canadian Broadcasting Corporation, où il a travaillé comme reporter sportif national couvrant les plus grands événements sportifs du monde pendant près de deux décennies. Teddy dirige aujourd’hui sa propre entreprise de communication, Think Redefined Inc., où il aide des organisations nationales et internationales à se faire connaître et à développer leur leadership.